- 30 novembre 2020

Texte d’opinion – Réorganisation de la représentation du Québec dans le monde: Jouer la carte nordique

Le Ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec vient d’entrer dans une phase de réflexion pour recalibrer sa présence à l’étranger. Un redéploiement des bureaux et délégations québécoises est un exercice nécessaire afin de s’adapter aux réalités changeantes des relations internationales.

Une telle réévaluation est certes une occasion pour rationaliser les efforts, mais aussi pour ajouter une présence dans des régions jusqu’alors oubliées ou négligées. L’Europe du Nord est maintenant considérée parmi les options pour l’action internationale du Québec, où de nombreux enjeux géopolitiques d’importances – tel que la lutte aux changements climatiques, l’exploitation de ressources énergétiques ou encore les questions frontalières – se profilent depuis plusieurs années. À ce titre, une seule représentation québécoise, située à Bruxelles et assignée à l’Union européenne (UE), ne couvre que partiellement la région (Finlande, Suède et Danemark), la Norvège et l’Islande ne faisant pas partie de l’UE.

Donner priorité à cette région cadrerait avec cet objectif commercial que le gouvernement actuel veut insuffler à la présence internationale du Québec. Les exportations québécoises vers les pays nordique (Norvège, Finlande, Suède et Danemark) entre 2016 et 2019 s’élevaient en moyenne à 878 millions de dollars annuellement, avec un sommet à 1.1 milliard en 2017. Ces chiffres sont plus élevés que le volume des exportations vers des pays émergents comme le Brésil, l’Inde ou encore Singapour, tous des pays où le Québec cultive pourtant une présence assidue.

Bien que les échanges commerciaux avec les pays nordique soient significatifs, la présence diplomatique québécoise est somme toute modeste. Ce manque de dynamisme est parfois attribué au fait que les entreprises de ces pays sont potentiellement vues comme des compétiteurs pour celles du Québec, œuvrant dans des économies avancées qui exportent leurs technologies à l’étranger. Or, la proximité socioéconomique (modèle de social-démocratie), l’expertise et les priorités en développement durable facilitent la coopération avec cette région. L’expansion en Norvège de la compagnie québécoise Effenco, spécialiste en technologies vertes, représente un exemple probant.

L’analyse des dynamiques politiques en Europe du Nord nous incite à suggérer l’établissement d’une représentation du Québec en Norvège avec comme objectif de nouer des relations plus étroites avec les pays nordique (Norvège, Suède, Finlande, Danemark et Islande). La Norvège joue un rôle central non seulement en Europe du Nord, mais aussi dans la région arctique, abritant notamment le Conseil de l’Arctique, le Conseil économique de l’Arctique et la conférence annuelle Arctic Frontiers. Pour le Québec, une telle représentation serait bénéfique, notamment en le positionnant d’autant mieux dans une région avec laquelle il partage certaines réalités et où de nouvelles opportunités d’affaires pourraient fort probablement se créer.

Il est utile de rappeler que même une approche internationale privilégiant les considérations commerciales ne peut se passer d’initiatives diplomatiques plus larges.  Cette réalité est d’autant plus vraie dans la région arctique.

L’exemple de la coopération entre l’Islande et le Québec illustre ce phénomène. Depuis quelques années, ces deux sociétés, qui, selon l’ancien premier ministre Philippe Couillard, «se ressemblent sur de nombreux points», ont intensifié leurs relations diplomatiques tout en cherchant à accroitre leurs collaborations dans de nombreux domaines. La participation du Québec à la conférence Arctic Circle, organisée en Islande chaque automne, est allée de pair avec cette coopération plus étroite. Ce type de conférence, à l’instar de la conférence Arctic Frontiers organisée annuellement en Norvège, regroupe des preneurs de décision de domaines divers, que ce soit du secteur privé, de la société civile, des gouvernements ou des communautés autochtones. Il ne s’agit pas d’initiatives diplomatiques classiques ne regroupant que des gouvernements, mais plutôt des occasions de consolider les échanges, de créer des réseaux et d’établir des ponts menant à une coopération pragmatique et renforcée.

L’intérêt pour la région arctique n’ira pas en diminuant et les impératifs de développement durable ˗ grand défi de notre temps et souvent mis de l’avant dans la région ˗, ne s’estomperont pas de sitôt non plus. Pour le gouvernement du Québec, qui a fait du développement durable et de la lutte aux changements climatiques une priorité de sa nouvelle action internationale, il s’agirait certes d’une opportunité, mais également d’un positionnement géostratégique non négligeable. Outre les bénéfices économiques, le Québec pourrait exporter, dans des pays qui partagent des intérêts similaires aux siens, son savoir-faire dans de nombreux domaines. En ce sens une présence québécoise dans cette région semble essentielle et incontournable.

Jean-François Payette

Directeur scientifique, Observatoire de la politique et la sécurité de l'Arctique
Stéphane Roussel

Stéphane Roussel

Directeur de recherche
Professeur, École nationale d'administration publique
Mathieu Landriault

Mathieu Landriault

Directeur, Observatoire de la politique et la sécurité de l'Arctique